Je ne peux pas t’expliquer avec des mots ce que l’on peut ressentir sur un parquet. Il faut le vivre. Il faut vivre cette liesse commune lors d’une chapelloise, il faut expérimenter ce temps suspendu dans la mazurka, où on redonne le petit coup de rein chaloupé pour reprendre son élan en tournant. Il faut avoir slalomé entre les couples sur une scottish jazzy pour préserver l’autre, il faut avoir connu la pression d’être celui qui mène la plus longue chaîne du laridé.
J’ai ressenti dans les bals folks mes plus beaux moments d’humanité. Ça peut faire un peu illuminé de dire ça comme ça. Mais je crois vraiment que j’ai rarement autant eu l’impression d’avoir « le genre humain » dans les tripes que sur des parquets de danse. Parce que c’est assez commun d’être réuni avec d’autres gens pour partager un moment de musique. Mais la danse, ça suppose de s’abandonner aux autres. On se tient les mains, on se serre, on se retrouve torse contre torse, jambes entremêlées, avec parfois comme seul lien la musique qui nous guide...Il faut pouvoir accepter cet abandon, ce n’est pas forcément évident au début.
Outre le fait de danser, j'aime aussi regarder les autres danser. Et en matière d'ethno-socio, il y a de quoi faire en bal. A force d'observations, j'ai pu relever quelques catégories de danseurs/danseuses que l'on retrouve assez fréquemment.
Les sautillantes : je le mets au féminin parce qu'il s'agit plus souvent de femmes : ces nanas ont l'air d'avoir des ressorts dans les mollets...c'est sympa pour certaines danses..et gonflant pour d'autres.
Les aéroglisseurs : fascinants, on a l'impression que leurs pieds ne sont pas en contact avec le sol tant leurs déplacements sont légers et fluides. C'est un régal pour les valses et mazurkas.
Les acrobates : Souvent ils viennent en couple de danse déjà formé..parce qu'ils font tellement de figures en dansant qu'on n'arrive jamais à les suivre. A regarder c'est toujours extraordinaire..mais pour danser, mieux vaut ne pas avoir dépassé les deux bières et avoir les idées claires pour comprendre ce que l'autre veut vous faire faire. Certains mènent si bien qu'ils te rendent acrobate le temps d'une danse..et d'autres te font plutôt t'emmêler les pinceaux.
Les phasmes : ces gens, souvent débutants mais pas seulement, qui ont les membres tout raides, que l'ont sent crispés, et avec qui on a plus l'impression de lutter que de danser.
Les omniscient(e)s : souvent des femmes qui savent tout mieux que tout le monde. On en a une par chez nous que Milo et Kalou ont affectueusement surnommée "la sorcière de Brocéliande". Elle veut toujours qu'on fasse les choses super bien, alors qu'on est là pour s'amuser, pas pour donner une représentation! Elle s'intercalle entre deux personnes qui n'ont rien demandé pour leur montrer, elle la ramène quand on hésite sur les pas à faire... Bref, un p'tit côté dictateur qui a le don de nous hérisser le poil.
Les perchés : ceux là on les rencontre plutôt en festival. En général ils ont quelques grammes d'alcool dans le sang (ou de sang dans l'alcool) ou alors ils sont adeptes des médecines douces à base de plantes. Mais je ne veux pas tomber dans le cliché : il y a aussi des "perchés" qui ne se droguent pas et ne boivent pas. Alors..comment dire. Le perché aime la musique, et il aime ressentir les choses. Il ne connait pas du tout les danses folk mais il s'en fout; il se pointe sur le parquet et il est heureux de partager avec les autres, il suit le rythme, il s'éclate. Pour les danseurs c'est parfois gênant ces jeunes qui se pointent et qui viennent faire des "ailes de pigeon" au milieu de la piste, mais en tant que musicienne, c'est un des publics que je préfère parce qu'il vibre vraiment avec nous.
Les "chasseurs(ses)" : ceux et celles qui arrivent systématiquement en bal avec l'objectif de se trouver quelqu'un. Ces femmes qui ne veulent danser qu'avec des hommes, ces hommes qui scrutent la piste à la recherche d'une femme qui leur plaise..
La glu : ce type, la cinquantaine, qui a compris que tu dansais avec tout le monde, mais qui lui ne veut plus danser qu'avec toi..et tu passes la soirée à essayer de toujours trouver quelqu'un d'autre ;.et même des fois, tu ments et tu prétexte la fatigue, alors que t'avais super envie de la danser cette polka..juste parce que c'est lui qui t'invite. (Et le pire, c'est que la glu se rappelle de toi d'un bal sur l'autre...)
Les néo-folk : ils découvrent le folk via des groupes rock-trad, et connaissent les bases de la scottish et de la jig : ils aiment les trucs qui déménagent, et malgré la bonne humeur qu'ils véhiculent, on se lasse vite de leurs délires de groupe sur les parquets. Oui, je suis assez critique, mais je trouvent qu'ils ne saisissent souvent pas bien l'"esprit bal folk" et le respect que cela implique.
Les fées : j'en ai connu deux ou trois personnellement. La fée a un look romantique, porte des robes aux voiles vaporeux, des chaussures avec de jolies lanières et a souvent de longs cheveux bouclés. Elle dégage des ondes magiques et se meut avec une grace qui te fait l'admirer pendant des heures. Elle forme un couple formidablement beau avec un aéroglisseur, et tu les regardes danser avec toujours le même bonheur.
Au delà des ces genres, un peu caricaturaux, il y a des tonnes de gens qui se fondent dans la masse, qui viennent seuls, en couple, ou en groupe, débutants ou experts et qui rivalisent d'énergie et de bonne humeur. Et c'est là où tout est bien : les crises de rire sur cette drôle de bourrée ou sur ce set irlandais, les regards et les sourires, complices, chaleureux.
On mêle le jeu à la danse : les musiciens accélèrent; on suit, ils ne nous auront pas. Ma copine Martine est à l'autre bout du cercle, vite, je vais aller la subtiliser à son cavalier (hihihi!). Et on fait même parfois des danses ludiques (changement impromptu de danse, danse de type "chaises musicales"..oui, là on ne manque pas de chaises, mais de partenaires). La danse trad est un sport complet : mollets, cuisses, fessiers, abdos, pectoraux, bras, épaules, travail cardio-respiratoire..ça vaut un décathlon !